DOSSIER : Le Derby de Manchester

(Crédit : Alex Livesey/Getty Images)

Une ville, deux couleurs. D’un côté le rouge de United, de l’autre le bleu de City. Amis d’un temps, la rivalité sportive entre les deux équipes a pris de l’ampleur au fil du temps avec un seul but commun : dominer pour régner sur Manchester.

LES premiÈres confrontations

Vers la fin du 19e siècle, la ville de Manchester voit deux clubs de football naîtrent dans ses quartiers Est de la ville. En 1878, c’est le club de Newton Heath Lancashire & Yorkshire Railway (Manchester United) qui prend vit dans la compagnie ferroviaire britannique du même nom, située dans le Newton Heath. À quelques kilomètres, le club de St Mark’s (Manchester City) est fondé en 1880 par des membres de l’église St Marc.

Nos deux voisins sont les deux clubs dominants de la ville mais jusque-là, aucune animosité ne règne entre eux. La première rencontre officielle a lieu en 1891 dans le cadre du premier tour de qualification de la FA Cup. La rencontre se jouait sur le terrain du North Road, propriété des Heathens fortement affectée par les usines et l’air polluée. Sur une pelouse délabrée, le Newton Heath s’impose 5-1 sans grande difficulté grâce à un doublé du génie Alfred Farman et des réalisations de R.Doughty, Sneddon et Edge.

En 1892, la Football League voit le jour et le Newton Heath connaît sa première relégation en 1894 après un match test perdu face à Liverpool. De son côté, St Mark’s, devenu Ardwick FC puis Manchester City, débutait l’aventure au second échelon et y retrouvera donc les Heathens après leur descente. La première édition en championnat entre les deux équipes a lieu au Hyde Road en novembre 1894. Une rencontre qui s’est clôturée par une victoire du Newton Heath sur le score de 5-2. Richard Smith devenait le premier de l’histoire à inscrire un hat-trick dans cet affrontement en ayant trouvé le chemin des filets à 4 reprises. Au retour, les Heathens s’imposeront à nouveau sur un score large de 4-1.

Crise financiÈre à l’avantage de United

Au début du 20e siècle, le Newton Heath est marqué par son changement d’identité en 1902 en devenant Manchester United. Le club fut racheté par John Henry Davis, un riche propriétaire de brasseries qui a sauvé le club de sa disparition. Entre-temps, City a le mérite de remporter deux fois le titre de la seconde division (1899 et 1903) mais peine à se distinguer au premier échelon.

United retrouve peu à peu des couleurs sous la gestion d’Ernest Mangnall et retrouve l’élite en 1906 après avoir terminé second de la League Division Two. En 1906-1907, Manchester United vit un retour dans League One pour le peu mitigé. Alors que son voisin sort tout juste la tête hors de l’eau, Manchester City plonge en pleine crise financière et est soupçonné de payements illégaux envers ses joueurs. 17 d’entre-eux sont suspendus et interdits de représenter le club qui est contraint à devoir s’en débarasser. John Henry Davis et Ernest Mangnall ont l’oreille attentive à la situation et en profitent pour recruter 4 des Citizens : Billy Meredith; Sandy Turnbull, Herbert Burgess et Jimmy Bannister.

Ces recrutements ont permis à Manchester United de devenir une équipe solide et prête à lutter pour le titre sous la compassion des dirigeants de City. Pendant que ces derniers continuent de sombrer, United remporte la League Division One en 1908 et 1911, ainsi que la FA Cup Cup en 1909. Fort de ses deux titres, MU va a son tour sombrer dans des années difficiles, marquées notamment par le départ d’Ernest Mangnall pour Manchester City en 1912, devenant l’unique entraîneur passé par les deux clubs de la ville.

Manchester United en 1908. (Crédit : Bob Thomas/Popperfoto via Getty Images/Getty Images)

Période creuse et solidaritÉ

Jusqu’à la Seconde guerre Mondiale, Manchester United connaît des années sombres, plongé en pleine crise financière et effectuant trop souvent l’ascenseur entre la League One et la League Two que City remportera en 1928 et United en 1936. En 1926, les deux voisins s’étaient opposés en demi-finale de la FA Cup. L’occasion pour City de prendre sa revanche de 1891 en s’imposant sur le score 3-0 face à un United de John Chapman impuissant. En finale, les Citizens s’inclineront 1-0 face à Bolton mais se rachèteront 10 ans plus tard en remportant leur premier titre de champion d’Angleterre en 1936.

Au terme du conflit mondial qui a mis à l’arrêt le monde du football au début des années 40s, deux évènements majeurs liant les deux clubs sont à notés. Dans un premier temps, Matt Busby, ancien joueur de Manchester City entre 1928 et 1936, arrivait en 1945 à la tête de United qui retrouvera le goût des succès et des trophées sous la gestion de l’Écossais. De plus, Old Trafford a subit de lourds endomagements pendant la guerre, causés par les bombardements Allemands. Un accord est alors trouvé entre les deux équipes et le Maine Road est partagé de 1946 à 1949. Un stade qui a plutôt bien réussi à United qui n’aura perdu que 8 de ses 73 rencontres disputées dans la mythique enceinte des Citizens et où notre club a réalisé le record de la plus large victoire de son histoire en l’emportant 10-0 face à Anderlecht en Coupe d’Europe.

Manchester United 10-0 Anderlecht, Maine Road. (Crédit : Popperfoto via Getty Images)

Alors que Manchester City continue de se produire dans la difficulté, les “Red Devils” comme les surnommait Matt Busby, vont former une des équipes les plus brillantes du championnat anglais, menés par les Busby Babes. En 1956 se déroulait le premier derby compétitif entre les deux clubs avec un trophée à la clef, celui de la Community Shield. Les hommes de Matt Busby se présentaient en tant que récents champions d’Angleterre, tandis que les joueurs de City avaient le méritent d’avoir remporté la FA Cup pour la 3e fois de leur histoire. United l’emportera sur le score de 1-0 grâce à un but de Dennis Viollet.

AMIS DEVENUS ENNEMIS

Au début des années 60s, United avait connu des hauts et des bas, affaibli par la tragédie de Munich de 1958 où le club avait perdu 8 de ses joueurs avant d’être couronnés champions d’Europe pour la première fois de son histoire en 1968. Une année au cours de laquelle Manchester City remportait son second titre de champion d’Angleterre après des plusieurs saisons passées en League Division Two.

Ce n’est qu’à partir des années 70s que le Derby de Manchester a commencé à prendre une toute nouvelle dimmension. Le 12 décembre 1970, City s’impose 4-1 face à un United malade depuis le départ de Matt Busby. Au cours de cette rencontre très engagée, un tacle très mal géré de George Best a brisé la jambe de Glyn Pardoe. Quelques minutes plus tard, une bagarre à coup de poings se produit entre John Fitzpatrick et Francis Lee qui voulaient en découdre. Vous l’aurez compris, ce 90e derby aura mis du feu aux poudres entre les deux voisins.

Crédit : @mcfcvideos

Vient ensuite cette triste saison 1973-1974 où Denis Law, légende de Manchester United au cours des années 60s et joueur de City depuis le début de saison, fera les gros titres des journaux lors du match retour de championnat, disputé en avril 1974.

En effet, positionné dans la zone rouge du classement, le destin de United dans l’élite était dépendant du résultat que pouvait obtenir Birmingham City et Southampton, bien que le retard au classement sur le premier mentionné est de 3 pts. Et pour tenter de se sauver malgré les minces espoirs, United reçevait Manchester City dans son Théâtre des Rêves lors de cette dernière journée de championnat. Le match aller avait été marqué par les expulsion de Lou Macari et Mike Doyle dans un match nul 0-0 au goût amer de l’autre côté de la ville.

Pour les retrouvailles, la rencontre est rythmée par l’engagement prononcé et les nombreux assauts des hommes de Tommy Docherty qui ne parviennent pas à trouver le chemin des filets, poussé par son public. Au retour des vestiaires, United subit et est submergé par la fatigue. Sur un ultime assaut de City mené à la 81e minute, Francis Lee parvient à trouver Denis Law, assez discret jusque-là, qui porte le coup meurtrier sur une talonnade, trompant Stepney et condamnant officiellement United à une descente en enfer. L’Écossais est pris par les émotions et ne célèbre pas son but, conscient qu’il vient de tuer le club qui l’a révélé à son plus haut niveau.

En réalité, United était déjà condamné après les victoires dans le même temps de Birmingham City et Southampton. Ce but du “King Law” était plutôt la goutte qui avait fait déborder le vase.

Les fans de United envahissent alors le terrain dans une vaine tentative de forcer un abandon, mais le match fini par se poursuivre conduisant finalement à une victoire 1-0 des Sky Blues qui voient leur voisin retrouver la League Division Two pour la première fois depuis 1936. La guerre est officiellement déclarée.

Crédit : @Classic Man Utd Videos and Clips

la gloire pour united

Depuis cet évènement de 1974, les derbys sont joués avec plus d’intérêts et d’intensité dans le but de prouver sa supériorité.
En difficulté depuis plus de 20 ans, Manchester United entre dans une nouvelle dimension au début des années 90s, sous l’influence d’Alex Ferguson qui va façonner une machine de guerre nourrit par les trophées. Redevenu une puissance du football anglais, United domine le Derby de Manchester en ne perdant qu’une seule confrontation entre 1986 et 2000. Une défaite 1-5 survenue en 1989, alors que City retrouvait tout juste l’élite.

Au cours des années 90s, c’était face à Manchester City que le King Eric Cantona effectuait ses grands débuts pour Manchester United. Le Français allait faire du rival sa bête fétiche en restant invaincu face à eux et en inscrivant pas moins de 8 buts en 7 rencontres disputées.

Crédit : Clive Brunskill/ALLSPORT

Le 10 novembre 1994, Andrei Kanchelskis marque lui aussi de son empreinte dans l’histoire de cette rivalité en inscrivant un triplé lors d’une victoire 5-0 des siens. Il devenait alors le premier Red Devil depuis Richard Smith (1894) à inscrire un hat-trick et le dernier en date pour les deux équipes.

Mais l’un des moments les plus chauds du Derby de Manchester a impliqué le capitaine Roy Keane et Alf-Inge Haland, la papa de Erling que l’on connaît aujourd’hui. Leurs querelles avait commencé en 1998 lors d’un autre derby, la ”Roses Rivalry”. Lors d’un match opposant Man United à Leeds United, Keane avait subi une blessure au ligament croisé du genou. Allongé au sol se tordant de douleurs, il avait été fortement critiqué sur le moment par Haaland qui l’accusait de simuler une fausse blessure. 

Revenchard, Roy Keane n’oubliera jamais ce moment et le lui fera savoir lorsque les deux protagonistes se retrouvaient lors d’un Derby de Manchester en 2001. Dans un élan de folie, l’Irlandais se jette le pied en avant sur la jambe d’Haaland qui sera brisée, avant de cracher un mollard près de sa victime et lui envoyer quelques mots ”doux” à l’oreille. Un geste qu’il a avoué ne jamais avoir regretté et qui a causé la fin de carrière du Norvégien. L’un des tacles jugés comme étant les plus dangereux et spectaculaires connus dans l’histoire de la Premier League. Haaland n’avait qu’à bien se tenir…

Crédit : @Man Utd Retro | Rever7z

Au début des années 2000 Manchester City retrouvait peu à peu des couleurs sous la gestion de Kevin Keegan qui a promu son équipe en remportant le titre de Division 2 en 2002. Le 9 novembre, les Citizens remportaient leur premier Derby de Manchester depuis 1989 sur le score de 3-1 avec les présences de Schmeichel et du Français Nicolas Anelka qui inscrivait un doublé ce jour-là. C’était également le dernier derby disputé au Maine Road avant que City ne déménage à l’Etihad Stadium la saison suivante. 

La première venue des Red Devils dans cette nouvelle enceinte s’était soldée par une lourde défaite de 1-4 pour les hommes de Ferguson. Néanmoins, Manchester United restera le club dominant de la ville, mené par ses nouvelles stars telles que Cristiano Ronaldo et Wayne Rooney pour ne citer qu’eux, et remportera sa 3e Coupe d’Europe en 2008 face à Chelsea.

2008, c’est aussi l’année du début d’une nouvelle ère pour Manchester City lorsque l’Abu Dhabi United Group rachète le club. Avec des moyens financiers qui coulent à flot, ces derniers vont faire de City une nouvelle pointure du championnat anglais et aura de quoi donner du fil à retordre à Manchester United…

Revirement de situation

Les piques entre les deux clubs continuent en 2009 avec le transfert de Carlos Tevez qui quitte le côté rouge de la ville pour rejoindre le “voisin bruyant“, ‘‘un petit club avec une petite mentalité” selon les mots d’Alex Ferguson. Un transfert qui est affiché fièrement dans la ville avec des ”Welcome to Manchester” pour la venue de l’Argentin. Il est le dernier transfert direct entre les deux clubs. (Owen Hargreaves rejoindra City en 2011 après avoir été libéré du club).

Crédit : Manchestereveningnews

La saison 2009-2010 est ensuite marquée par ce qui a été très probablement le plus grand derby de tous les temps, le premier de cette ère nouvelle, salué par Sir Alex Ferguson comme le meilleur auquel il ait participé. Alors que les deux équipes se tenaient au coude à coude (3-3), le “Fergie Time” fit son entrée et Michael Owen portera le coup de grâce dans les dernières secondes de la rencontre. Une victoire palpitante qui se clôture sur le score de 4-3. 

Manchester United 4-3 Manchester City (Crédit : Manchester United)

Les matchs sont de plus en plus serrés face à un Manchester City grandissant et bien plus armé que par le passé. La bicyclette de Wayne Rooney – qui plus est l’actuel meilleur buteur de l’histoire de ce derby avec 11 buts – est encore dans toutes les mémoires et est très certainement le plus beau but de l’histoire de ce Derby, tandis que City peut se vanter d’avoir humilié son rival sur le score 6-1 lors de cette fameuse saison 2011-2012.

Sous la houlette de Roberto Mancini, les Citizens ont remporté leur premier titre de champion d’Angleterre depuis 1968. Un triomphe qui s’est décidé lors de l’ultime journée où les Sky Blues l’ont emporté dans les dernière seconde face à QPR, finissant devant United à la différence de buts (89 pts chacun).

La Bicyclette de Wayne Rooney (Crédit : EMPICS Sport)

Ses derniers mois avec Manchester United, Alex Ferguson a dû les passer avec une nouvelle menace grandissante pour régner sur le Royaume. En 2012-13, renforcé par un Robin Van Persie en mission, Fergie prend sa revanche à l’Etihad (3-2) et se dirige vers son 13e et dernier titre de Premier League avant mettre fin à plus de 26 ans de domination sans jamais avoir été égalé.

Laissé orphelin, Manchester United débute un nouveau chapitre de reconstruction et des années très compliquées depuis. Les performances de United ont chuté pendant City luttait avec Chelsea pour prendre peu à peu le contrôle du football anglais. Alors que l’armoir à trophées de United semble s’empoussiérer, celle de City se remplit à vitesse grand V.

Cet affaiblissement côté United se fait également ressentir dans cette rivalité qui a perdu en saveur. Depuis le départ de Ferguson, Manchester United n’a remporté que 8 des 21 rencontres dans ce derby pour plus de 10 défaites, avec que trop peu de succès savoureux. On peut notamment citer cette remontée fantastique sous l’influence d’un Pogba des grands jours en 2018 où les Red Devils s’étaient imposés 3-2 à l’Etihad alors qu’ils étaient menés 0-2 à la mi-temps.

Pogba lors de la victoire 3-2 en 2018. (Crédit : premierleague.com)

Le Derby de Manchester n’est peut-être pas parmis les plus resplendissants ces dernières années, mais il ne peut pas non plus être ignoré. Pendant que Pep Guardiola a transformé Manchester City en une machine bien huilée (quelque peu bousculée par le Liverpool de Klopp), United cherche encore le chemin vers des jours meilleurs dans une période de transition qui semble s’éterniser depuis 2013, malgré la lueur d’espoir apportée par Erik Ten Hag.

Sources : manutd.com, skysports.com, godsavethefoot.fr, Encyclopédie officielle de Manchester United, mufcinfo.com, sports-nova.com