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DOSSIER : L’HISTOIRE DU COUP DU KUNG-FU LE PLUS CÉLÈBRE

Crédits : Steve Lindsell

Il y a 27 ans aujourd’hui, Eric Cantona commet l’irréparable sur un fan de Palace… Un geste devenu célèbre, justifié selon lui, mais qui le condamne à de longs mois de poursuites judiciaires.

25 JANVIER 1995, SELHURST PARK, LONDRES

Crystal Palace accueille le champion d’Angleterre en titre, Manchester United, mené par son numéro 7, le King, Eric Cantona. Si la situation en championnat est relativement bonne, United pointant en seconde place au classement après leur dernier succès face à Blackburn le week-end précédent (1-0), la course au titre est quant à elle définitivement lancée. En effet, éliminés de Ligue des Champions après avoir terminé troisièmes de leur poule (derrière Barcelone et… Göteborg), les Red Devils comptent bien passer leurs nerfs sur leurs adversaires locaux.

Pourtant, durant cette froide soirée de début d’année, tout ne va pas se passer comme prévu. Durant une partie hachée par les fautes qui s’y succèdent, les deux équipes se neutralisent à la mi-temps sur un score nul et vierge. De quoi déclencher le fameux «hair dryer» d’un Alex Ferguson, pas encore «Sir».

C’est décidé, United doit montrer les crocs en seconde période. Le projet est là, mais il va vite prendre une tournure de cauchemar éveillé puisqu’après seulement 4 minutes en deuxième mi-temps, Cantona – qui jusque-là était particulièrement calme malgré les coups reçu – joue le duel avec son vis-à-vis, Richard Shaw à la retombée d’un dégagement de Peter Schmeichel. L’action est peu claire, litigieuse à souhait, Shaw se laisse lourdement tomber au sol. En réalité, le Français avait effectué un petit coup de sang comme il en avait l’habitude de le faire. Malheureusement, cela s’est produit devant le juge de touche qui n’en rate pas une miette. Le numéro 7 de Manchester United sait tout de suite que son match se termine sur ce coup, prend du recul et, signe de sa capitulation, rabaisse son col pourtant toujours relevé. Le public met le feu, l’arbitre sort un carton rouge tellement capilo-tracté qu’il en est lui-même probablement jaloux vu sa calvitie… Le PFA Player of the Year 1993-94 est expulsé. Ferguson, stoïque, n’adresse pas même un regard à Cantona qui quitte le terrain, hué, seul.

Mandatory Credit: Shaun Botterill/ALLSPORT
Crédits : Shaun Botterill/ Allsport/Getty Images

Alors qu’il se dirige vers le couloir menant aux tribunes, un supporter de Palace de 21 ans, Matthew Simmons, reconnu plus tard comme petit Nazillon, l’interpelle en l’insultant : « Enc*ulé de bâtard de Français ! », suivi d’un crachat. C’est le coup de sang assuré. Cantona se jette dans la tribune, dans une sorte de Mawashi geri raté qui lui fait perdre l’équilibre. Il se relève et assène à ce charmant personnage un coup de poing qui choquera encore davantage les téléspectateurs. Rapidement embarqué, Cantona rejoint le vestiaire et était prêt à en ressortir pour en découdre selon Norman Davies, responsable du vestiaire de Manchester United à l’époque. À ce moment-là, personne ne prend conscience de la gravité du geste, ni même Ferguson qui, à vrai dire, ne l’avait même pas vu sur le moment.

Le match s’achèvera de manière quasi anecdotique sur un score nul de 1-1 et le geste était déjà oublié par toute l’équipe mais quelques heures plus tard, le déferlement médiatique commence et une seule image ressortira à la une des tabloïds anglais : Celle du coup de pied du King.

SUSPENSION, CONDAMNATION ET PUNCHLINE

Conformément aux souhaits de la Fédération anglaise, la sanction initiale de Manchester United fut d’infliger une amende de 2000£ pour “l’assaut” au King et de confirmer qu’il ne jouerait pas pour l’équipe première pour le reste de la saison. Échaudée, la FA ne laissera pas passer l’affaire : 8 mois de suspension (interdiction également de jouer pour des matches amicaux) assortis de 10 000£ d’amende. Une sanction à la hauteur de l’impact du geste et difficilement contestable. Poursuivi également par la Justice anglaise dans le cadre de poursuites pénales pour “agression”, le Frenchy écopera en plus, le 23 mars suivant, de 15 jours de prison ferme exécutables immédiatement. En appel, et suite à l’intervention du Président de la République de l’époque, François Mitterand, Cantona voit sa peine commuée en 120h de travaux d’intérêts généraux. Le King assumera sa tâche et s’attellera à éponger sa dette à la société de manière consciencieuse.

Si Cantona a eu tort, il a également des circonstances atténuantes. Il a été insulté de manière inqualifiable et il a réagi de manière instinctive.

Alex Ferguson

Matthew Simmons, quant à lui, poursuivi pour « comportement et propos menaçants », se verra également sanctionné de 500£ d’amende, 200£ de frais de justice et 1 an d’interdiction de stade. Au prononcé de la scène, celui qui était soupçonné d’appartenir à un mouvement d’extrême droite et avait déjà été condamné à 2 ans de prison avec sursis pour le braquage d’une station-service, se verra sanctionné d’une nouvelle peine de sept jours de prison pour avoir saisi le Procureur par le col.

Eric Cantona's 'only regret' is he didn't kick Matthew Simmons more | TV &  Radio | Showbiz & TV | Express.co.uk
Crédits : Allsport/Getty Images

À la sortie de son audience de jugement, Cantona aura l’occasion de donner une conférence de presse, sensée recueillir son ressenti à chaud. Il n’en sera rien. Dans un des plus grands moments de panache du King, le numéro 7 mancunien se contentera d’une déclaration de 11 secondes : « Lorsque les mouettes… (petite gorgée d’eau) suivent le chalutier, c’est parce qu’elles pensent que des sardines vont être lancées dans la mer. Merci beaucoup ». Mythique.

La presse faisait mine de ne pas comprendre, le prenant pour un fou. Et pourtant, cette phrase, pleine de sens voulait dire en d’autres termes que les mouettes (la presse), telles des charognards, s’est empressée de se jeter sur la proie (Eric), faisant de lui leur gagne pain et un potentiel criminel. La FIFA a ensuite confirmé la suspension comme étant “mondiale”, ce qui signifie que Cantona ne pouvait pas échapper à l’interdiction de jouer en étant transféré ou prêté à un club étranger.

Il y avait eu des spéculations dans les médias selon lesquelles le King quitterait United pour jouer dans un club étranger à la fin de sa suspension. De nombreux observateurs ont estimé qu’il serait plus en mesure de faire face aux inévitables provocations de ses adversaires et supporters adverses, mais Ferguson l’aurait persuadé de rester à Manchester, malgré l’intérêt notamment de l’Inter Milan. Après avoir signé un nouveau contrat, Cantona restait frustré par les “termes” de sa suspension et le 8 août, il demanda une demande de résiliation de contrat, ne souhaitant plus jouer au football en Angleterre. Cette demande fait suite à son apparition polémique lors d’un match amicale face à Rochdale le mois dernier sur un terrain d’entrainement de Manchester United, le club arguant pourtant que cette rencontre fut organisée dans le cadre d’un “entrainement” (comme sa suspension le lui permettait). Les arguments du club seront rejetés par la FA qui resta dans sa ligne de conduite et la suspension qu’elle a infligé. La demande de résiliation de contrat de Cantona refusée par le club, et suite à une nouvelle rencontre à Paris avec Ferguson, le King décida finalement de rester au club.

Après de longs mois d’attente, celui dont beaucoup croyaient que sa carrière en était terminée, reviendra le 1er octobre 1995, 248 jours après son dernier match. Un retour triomphant pour le King qui sera élu joueur de la saison FWA en 1996 et mènera Manchester United vers un double succès en Premier League en 1996 (même doublé avec la FA Cup) et 1997 avant de tirer définitivement sa révérence en mai 1997.

Source : “Cantona, Le rebelle qui voulut être roi”, de Philippe Auclair