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MATT BUSBY, UNE VIE À UNITED

crédits : Norman Quicke/Daily Express/Hulton Archive/Getty Images

L’Écossais, ancien enfant de la mine, est l’homme qui a incarné Manchester United de 1945 à 1969, le survivant du drame de Munich reparti à la conquête de l’Europe jusqu’au sacre de Wembley en 1968. Celui qui a créé le mythe « United ».

Il allait devenir l’un des plus grands managers du football anglais. Lui, un Ecossais, né un 26 mai 1909, dans le village d’Orbiston, Lanarkshire. Enfant de mineur, il avait bien saisi sa véritable aspiration, que le ballon rond était fait pour lui. Après avoir disputé quelques matches avec l’équipe junior de Denny Hibs, il rejoignait Manchester City en février 1928 et réalisait ses premiers pas l’année suivante contre Middlesbrough. La FA Cup 1934 remportée avec les Citizens, Busby fut ensuite transféré à Liverpool moyennant 8 000£ en mars 1936. Après avoir refusé le poste de manager adjoint de George Kay à Liverpool, il devenait le premier manager de MU d’après-guerre. Il acceptait le poste le 19 février 1945, grâce à sa bonne amitié de l’homme à tout faire d’alors à United, Louis Rocca, puis rejoignait le club à temps plein huit mois plus tard, au moment de sa démobilisation des forces armées. Le poste de manager était laissé vacant depuis la démission de Scott Duncan en 1937 et occupé par intérim par le secrétaire du club Walter Crickmer.

À la suite de sa démobilisation, Busby prenait les rênes d’un club doté d’un stade détruit par les bombes et présentant une dette de 15 000£. Sa première recrue à United ne fut pas n’importe laquelle : Jimmy Murphy, devenu son manager adjoint mythique après avoir endossé quasi tous les rôles au club, y restant même jusqu’en 1971. Ensemble, le duo va créer la première grande équipe d’après-guerre de Man Utd, construite autour des capacités défensives de Johnny Carey, John Aston et Allenby Chilton et des talents offensifs du ‘Famous Five’, cette ligne de cinq offensive redoutable : Charlie Mitten, Jack Rowley, Jimmy Delaney, Johnny Morris et Stan Pearson. La magie frappa et Man Utd allait remporter la FA Cup 1948 en battant le Blackpool de Stanley Matthews (4-2). Après avoir terminé vice-champions à quatre reprises en 1947, 1948, 1949 et 1951, les hommes de Busby rapportaient le trophée à Old Trafford en 1952, le 1er depuis 41 ans et l’ère Ernest Mangnall.

Loin de se reposer sur leurs lauriers, Busby et Murphy avaient cette intelligence d’anticiper et de préparer le club pour le futur, sentant qu’une refonte de l’effectif devait s’opérer. Ils décidaient d’élargir et de réorganiser le système de recrutement du club, peu développé jusqu’ici (la notion de ‘scout’ était assez méconnue à l’époque). Au début des 1950s, cette nouvelle politique de formation des jeunes, l’objectif prioritaire, portait ses premiers fruits. Bobby Charlton, qui changera radicalement l’histoire du club pendant l’ère Busby, Dennis Viollet, Jackie Blanchflower, Roger Byrne ou encore Jeff Whitefoot, notamment, étaient promus dans l’équipe première. En 1953, une nouvelle équipe avait fait son entrée en First Division avec les jeunes Bill Foulkes, Mark Jones, David Pegg, Liam Whelan, Eddie Colman ou encore Duncan Edwards. Fort de cette jeunesse fougueuse, United connaissait rapidement le succès en championnat alors que cette équipe nouvelle et jeune, rapidement surnommée les “Busby Babes”, remportait les éditions 1956 et 1957 du championnat, et se qualifiait pour la finale de la FA Cup pour cette dernière année, perdue face à Aston Villa (1-2).

Manchester United line up before their 1958 European Cup quarter-final second leg against Red Star Belgrade. Photograph: Inpho/Getty
Crédits : Ivan Blazovic/Getty Images

Pensant toujours à l’avenir, Busby était le premier manager parmi ses homologues en Angleterre à participer à nouvelle Coupe d’Europe (C1) récemment créée, en 1956/57, malgré l’avis défavorable de la ligue anglaise. United se qualifiait pour les demi-finales et s’inclinait face au Real Madrid (3-1, 2-2), futur vainqueur cette année-là. 1957/58, devait être la saison de toutes les promesses, et au mois de février, United était encore en lice dans les trois compétitions, pour un triplé inédit. Le 6 février 1958, à 15h04, l’avion ramenant l’équipe d’un match de Coupe d’Europe à Belgrade après une troisième tentative de décollage s’écrasait, suite à une escale à Munich pour un plein de carburant. Vingt-trois personnes y périssent, dont huit joueurs de Busby : Geoff Bent, Roger Byrne, Eddie Colman, Duncan Edwards, Mark Jones, David Pegg, Tommy Taylor et Liam Whelan. Trois représentants du club trouvaient également la mort dans la catastrophe aérienne, le secrétaire Walter Crickmer, le soigneur Tom Curry et l’entraîneur Bert Whalley.
Busby perdait pratiquement la vie lui aussi et recevait les derniers sacrements à deux reprises sur son lit d’hôpital en Allemagne. Il survivait et retournait à Manchester 71 jours plus tard. Pendant sa convalescence, Jimmy Murphy, qui n’était pas dans l’avion car occupé à entraîner l’équipe nationale du Pays de Galles (dont il était sélectionneur), menait avec brio une équipe de fortune jusqu’à la finale émouvante de la FA Cup face à Bolton, qui s’imposait face à un MU encore peiné (2-0).

Ce crash de Munich a été fondateur de la deuxième grande époque de l’ère Busby. Après avoir repris les rênes en août 1958, il décidait de faire venir des joueurs d’expérience, moyennant des indemnités de transfert considérables, qu’il associait à ses jeunes formés au club. C’est ainsi qu’Albert Quixall, Noel Cantwell, Denis Law et Pat Crerand rejoignaient United à la fin des années 1950 et au début des années 1960, quand un certain George Best commençait à montrer le bout de son nez après avoir quitté son Belfast natal. Ce groupe de joueurs se qualifiait pour la finale de la FA Cup en 1963 et battait Leicester City (3-1) pour permettre au club de remporter son premier trophée depuis Munich.

Les succès s’enchainent. MU est ensuite couronné champion d’Angleterre en 1965 et 1967, donnant ainsi la chance à Busby de conquérir l’Europe. En 1965/66, United atteignait les demi-finales, comme en 1956/57 et 1957/58. Mais en 1967/68, les Red Devils allaient jusqu’au bout. À l’occasion d’une nouvelle soirée chargée d’émotions, United triomphait du Benfica (4-1) après prolongation pour grimper sur le toit de l’Europe, dix ans après la tragédie. Juste récompense pour Busby, qui a su remonter une équipe compétitive en mêlant jeunesse et bons coups sur le marché des transferts, et ses nouvelles ouailles. MU aurait même pu conserver son titre en 1968/69 mais s’inclinait face au Milan AC en demi-finales (2-0, 1-0).

Sport, Football, Old Trafford, England, 1968, Manchester United Manager  Matt Busby is pictured with the European Cup trophy - We All Follow United  | Man Utd Fan Blog |
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Lassé et ne sentant plus dans le coup, le manager écossais prend sa retraite à la fin de cette dernière saison mais restait directeur général pendant que Wilf McGuinness prenait les rênes de l’équipe au jour le jour. Cette nouvelle organisation dura un peu plus d’un an, avant que les directeurs du club n’invitent Busby à reprendre du service fin décembre 1970 pour remplacer McGuinness jusqu’à la fin de la saison. Personnage respecté tout au long de sa carrière, Busby était fait CBE (Commandant de l’Ordre de l’Empire britannique) en 1958 et devenu le 66e représentant honorifique de la ville de Manchester en 1967.

En 1972, le Pape Paul VI le décorait Chevalier de l’Ordre de Saint-Gregory. Il devenait Président de Manchester United en 1980, était élu vice-président de la Ligue de football en 1982 et finissait par devenir membre à vie. En 1993, Warwick Road North, la rue passant devant Old Trafford, était rebaptisée Sir Matt Busby Way en l’honneur de l’homme décrit comme étant “Monsieur Manchester United”.
En plus d’avoir dirigé United, Busby a également mené l’équipe de football olympique britannique en demi-finale des JO 1948. Dix ans plus tard, il était le sélectionneur de l’équipe d’Écosse, que le crash de Munich ne lui a pas permis réellement d’honorer la fonction, permettant même à un certain Denis Law, âgé de 18 ans, de faire ses premiers pas internationaux.

Sir Matt Busby est décédé le 20 janvier 1994 à Alexandra Hospital, à Cheadle dans le Greater Manchester, des suites d’un cancer du sang dont il souffrait depuis de nombreuses années. Son enterrement, une semaine plus tard, voyait défiler des milliers de personnes dans les rues de Manchester alors que son cortège partait de Chorlton, passait devant Old Trafford pour finir au cimetière Southern Cemetery de Manchester. Les hommages à Sir Matt venaient des quatre coins du monde et les supporters de différents clubs envoyaient des milliers de maillots, couronnes mortuaires, photos et écharpes pour créer un monument commémoratif multi-couleurs. Pour lui rendre un hommage encore plus indélébile que son histoire avec United mérite, une statue en bronze le représentant fut inaugurée le 27 avril 1996 du côté de la tribune Scoreboard End (maintenant East End) d’Old Trafford au-dessus du nouveau Megastore, ouvert deux ans plus tôt.

Manchester United news: New Sir Matt Busby plaque to be installed in Old  Trafford director's box | The Independent | The Independent
crédits : Ben Radford/Allsport

Manchester United se souvenait de l’homme qui avait incarné l’esprit du club. Mais l’euphorie et les succès s’estompaient un temps. Après son départ, Manchester United était devenue une équipe livide, reléguée, promue mais sans véritablement de coups d’éclats, que seul la FA Cup laissa finalement transparaître, pour les fans des Red Devils. Finalement, l’arrivée d’un nouvel Ecossais, en la personne d’Alex Ferguson, allait changer de nouveau la face du club pour la faire entrer dans une autre ère moderne.
Cinq ans après la mort de Busby, sa nouvelle équipe de MU répétait son plus grand exploit, en remportant la plus belle Coupe d’Europe C1, huit ans après la Coupe des coupes. Détail poignant : la date de ce triomphe rocambolesque, le 26 mai 1999 à Barcelone, aurait marqué le 90e anniversaire de Matt

Mais l’ère Sir Alex Ferguson ne s’est jamais vraiment éloignée des principes érigés quarante ans plus tôt. « Je n’ai jamais voulu que Manchester United soit deuxième. La seule place acceptable, c’est la première ». 50 ans après son départ du club et 28 ans après sa mort, son mantra n’a jamais quitté les valeurs et l’ADN du club.

Source : Documentaire Busby (2019), Sir Matt Busby de Patrick Barclay, The Man who kept the red flag flying : Jimmy Murphy, the fully authorised life story de Wayne Barton