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Le “Good friday scandal”

Crédits : Empics

La rivalité face à Liverpool est peut-être la plus intenses de notre histoire. De nombreux matchs inoubliables sont à lister mais d’autres plus controversés peuvent être également cités comme ce derby du 2 avril 1915 qui a été l’un des plus grands scandales de l’histoire du football britannique…

Manchester United 2-0 Liverpool

Le XI : Beale ; Hodge, Spratt, Montgomery, O’Connell, Haywood, Meredith, Potts, Anderson, West, Norton

Il y a donc 107 ans à l’aube de la Première guerre Mondiale… Manchester United recevait Liverpool à Old Trafford, son tout nouveau stade depuis 1910. Ce match comptant pour la 31e journée de League Division One était crucial pour United qui zonait au bord de la relégation. De leur côté, les Reds de Liverpool se déplacaient avec moins de pression sur les épaules, leur avance étant un peu plus confortable en cette fin de saison qui sera la dernière après une coupure de 4 ans à cause de la guerre. À l’aller, les deux équipes s’étaient quittés dos à dos (1-1) à Anfield. Pour ce retour, les Mancuniens n’ont pas le droit à l’erreur.

En première période, c’est devant une foule de 18 000 spectateurs que United ouvre le score à la 40e minute par l’intermédiraire de George Anderson, meilleur buteur de l’équipe la saison précédente et à nouveau en tête de liste lors de cette saison 1914-1915. En face, les Reds semblent être passifs et affichent jusque-là une prestation très terne, peut-être même la pire sur la saison selon plusieurs observateurs. À la pause de cette rencontre à sens unique, certaines tensions auraient eu lieu dans le vestiaire de Liverpool. La raison ? Certains joueurs semblent déterminés à remporter la rencontre et rebooster l’équipe pendant que d’autres prônaient le contraire et menaçaient de marquer dans leur propre but…

Au retour du vestiaire, le défenseur de Liverpool Bob Pursell concède un penalty à la 48e minute de manière presque volontaire. Patrick O’Connell se chargera de le tirer mais l’Irlandais qui était plutôt efficace en la matière rate son essai. Par ailleurs, le ballon aurait même fini sa course à hauteur du piquet de corner… Un évènement qui lève les suspicions que quelque chose ne tourne pas rond. Liverpool est toujours hors de coup malgré quelques tentatives de retour au score mais George Anderson ajoutera un second but au compteur pour les siens à la 75e minute de jeu. Avec cette victoire de 2-0, United se rassure un peu plus pour son maintien dans l’élite. Néanmoins, ce succès fait énormément débat et la tournure des évènements intrigue… 

Photo du match (Crédit : Via lfchistory.net)

Le Sporting Chronicle écrit : “Les attaquants de Liverpool ont donné la prestation la plus faible qui ait été vue sur le terrain pendant la saison.” Il a également été souligné dans les journaux locaux que Fred Pagnam se serait même fait réprimander par certains de ses coéquipiers pour avoir tenté de réduire le score… Heureusement pour lui, sa frappe avait heurté la barre transversale.

De son côté, le Manchester Daily Dispatch ajoute : “La seconde mi-temps a été remplie de football sans vie. United menait de 2-0 après 22 minutes de jeu et les joueurs semblaient si satisfaits de leur avance qu’ils n’ont apparemment jamais essayé de l’augmenter. Liverpool n’a presque jamais donné l’impression qu’ils étaient susceptibles de marquer.

Le début des enquêtes

Les semaines qui suivent, la tournure qu’a pris cette rencontre est encore sur toutes les lèvres. Les Bookmakers sont les premières victimes de ce résultat, et selon-eux, une victoire de Liverpool était normalement certaine et les voir perdre de cette manière était pour le moins inattendu… Ces réflexions les poussent à mener leurs propres recherches et certains sont unanimes : la rencontre a été truquée.

L’affaire prend de l’ampleur, ce qui oblige la Football League à mener une enquête. Les premières rumeurs qu’une somme importante d’argent auraient été mise en jeu deviennent de plus en plus sérieuses et différents joueurs sont auditionnés. Fred Pagnam qui s’était fait honteusement critiqué par une partie de son équipe pour avoir touché la barre transversale s’était exprimé contre ses coéquipiers, relatant les faits. De son côté, Billy Meredith, le légendaire ailier expérimenté de Manchester United, a quant à lui déclaré qu’il n’était au courant de rien mais qu’il se doutait que quelque chose ne tournait pas rond, trouvant surprenant l’attitude de certains de ses coéquipiers au cours de la rencontre, ajoutant même qu’il ne reçevait pas autant de ballons que d’habitude.

Sandy Turnbull (Crédit : Colorsport/REX/Shutterstock)

Après plusieurs audiences, la Fédération Anglaise tranche définitivement que la rencontre a bel et bien été arrangée. On apprendra plus tard que quelques jours avant la rencontre, John Sheldon, ancien joueur de Manchester United, avait organisé une réunion privée dans un pub de Manchester. Autour de la table se trouvaient plusieurs de ses coéqupiers de Liverpool comme Thomas Fairfoul, Tom Miller et Bob Pursell, mais aussi des joueurs de Manchester United comme le très réputé Sandy Turnbull et Arthur Whalley. La décision est alors prise entre les hommes que Manchester United gagnera sur le score de 2-0, avec un but marqué au cours de chaque période.

Le deal arrange tout le monde. D’un côté, les joueurs de Liverpool concernés par l’affaire peuvent se voir gagner un peu d’argent non-négligeable en période de guerre, et de l’autre, Manchester United s’offrirait une victoire essentielle dans la lutte pour le maintien. Au total, sept joueurs sont impliqués dans ce complot selon la FA : Quatre joueurs de Liverpool et trois de Manchester United : Turnbull, Whalley et même Enoch West dont le nom est également évoqué. Si certains ont été épargnés, la sanction fut dure et exemplaire pour la majorité d’entre-eux.

de lourdes sanctions

Sandy Turnbull qui pourtant n’avait pas participé à la rencontre est alors banni à vie. Sa suspension sera levée à titre posthume en 1919 après qu’il ait été tué lors d’un combat mené à Arras en France le 3 mai 1917. Arthur Whalley a également vu sa suspension être annulée pour avoir servi son pays pendant la guerre. Il n’y a donc que West qui ne retrouvera jamais le chemin des terrains de football après avoit été banni à vie lui aussi. Pourtant, l’ex-attaquant de Manchester United, meilleur buteur de l’équipe 3 saisons de suite entre 1910 et 1913, s’est toujours battu pour clâmer son innocence, poursuivant même en justice la Fédération Anglaise en 1917 pour diffamation, réclamant ainsi des dommages et intérêts en vain…

Enoch West (Crédit : Via manchestereveningnews.co)

Cependant, un revirement de situation a lieu avec John Sheldon qui fait paraître une lettre dans le Liverpool Echo :

“Auriez-vous l’amabilité de m’accorder un espace dans votre précieux document pour expliquer ma position concernant la suspension ? Il est peut-être injuste que je demande cette faveur alors que mon affaire a été traitée il y a si longtemps par la F.A. Mais vous comprendrez combien il m’est difficile de m’expliquer en faisant ma part « quelque part en France ». Je saisis maintenant la première occasion que j’ai eu et je souhaite faire connaître ma position aux nombreux adeptes du football. Je vous déclare avec insistance, en tant que votre meilleur et plus juste critique, que je suis absolument irréprochable dans ce scandale, et que je suis toujours ouvert, comme je l’ai toujours été, à donner à tout Fonds de la Croix-Rouge, ou à toute autre institution caritative, la somme de 20 livres sterling si la F.A., ou toute autre personne, peut justifier et prouver tout bookmaker ou toute autre personne avec laquelle j’ai eu un pari. En supposant que je revienne sain et sauf de ce pays, j’ai l’intention de prendre des mesures contre ma suspension, et en attendant, vous me rendriez un grand service en insérant gentiment cette lettre dans votre numéro. À vous fidèlement, PTE. J. Sheldon, 17e Middlesex. » 

Enoch West est alors pointé du doigt par la Fédération qui le cible désormais comme le leader des opérations et Sheldon voit sa suspension levée à son tour en 1919. West tentera de se suicider à deux reprises et fut finalement innocenté en 1945 après presque 30 ans de bataille pour laver son nom et son honneur. Cette suspension reste encore à ce jour la plus longue de l’histoire de la Football League. Ses premiers mots après cette décision seront :

Ce fils de pu*** (Sheldon) a gâché ma vie. Il savait que j’étais innocent, mais il lui fallait un coupable idéal pour se couvrir.” 

Sources : bbc.com, Dailymail.com, manchestereveningnews.co, faussetouche.blog, Manchester United “The Biography” de Jim White.